L’obligation de loyauté du salarié pendant la suspension de son contrat de travail : la Cour de cassation confirme sa position
En vertu de l’article L.1222-1 du Code du travail, « le contrat de travail est exécuté de bonne foi ». Cette obligation de bonne foi (correspondant également à l’obligation de loyauté), incombe aussi bien à l’employeur qu’au salarié.
Pendant les périodes de suspension de son contrat de travail comme un arrêt maladie ou une période d’activité partielle, le salarié n’a évidemment pas à fournir de prestation de travail. Il est ainsi libéré de cette obligation essentielle.
Pour autant, le lien de subordination qui le lie à son employeur ne disparaît pas. A cet égard, l’obligation de loyauté subsiste même lorsque l’exécution du contrat de travail est suspendue. En conséquence, un salarié qui viole son obligation de loyauté pendant la suspension de son contrat de travail s’expose à des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’à la rupture du contrat de travail pour faute grave.
Deux arrêts récents de la Cour de cassation illustrent des cas dans lesquels un salarié a été licencié pour avoir manqué à son obligation de loyauté en raison de l’exercice d’une activité professionnelle (I) ou d’une activité sportive (II) pendant des arrêts de travail.
Ces deux arrêts confirment la jurisprudence bien établie de la Cour de cassation, favorable au salarié (III).
I/ L’exercice d’une activité non concurrente pendant un arrêt de travail ne justifie pas nécessairement un licenciement
Dans un arrêt du 7 décembre 2022 (n°21-19.132), la Chambre sociale de la Cour de cassation a jugé, conformément à sa jurisprudence constante, que l’exercice d’une activité non concurrente par un salarié pendant son arrêt de travail ne constituait pas, en lui-même, un manquement à son obligation de loyauté.
En l’espèce, une salariée avait travaillé durant ses arrêts de travail pour au moins un autre employeur, en exerçant les mêmes fonctions que celles pour lesquelles elle était embauchée. D’autre part, elle n’avait pas informé son employeur qu’elle percevait les indemnités journalières de la sécurité sociale alors que celui-ci avait maintenu le versement de son salaire durant ses arrêts de travail.
Ces deux éléments avaient conduit la Cour d’appel de Grenoble à juger que la salariée avait manqué à son obligation de loyauté et que son licenciement était justifié, dès lors que ses manquements ne résidaient pas seulement dans ses relations avec les organismes de la sécurité sociale, mais qu’ils avaient également eu pour effet d’entraîner un préjudice financier pour son employeur (maintien de salaire).
Mais la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Grenoble en rappelant que :
« L’exercice d’une activité, pour le compte d’une société non concurrente de celle de l’employeur, pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie ne constitue pas en lui-même un manquement à l’obligation de loyauté qui subsiste pendant la durée de cet arrêt.
Dans un tel cas, pour fonder un licenciement, l’acte commis par un salarié durant la suspension du contrat de travail doit causer préjudice à l’employeur. Ce préjudice ne saurait résulter du seul paiement par l’employeur, en conséquence de l’arrêt de travail, des indemnités complémentaires aux allocations journalières. »
II/ Pratiquer une activité sportive durant un arrêt maladie n’est pas nécessairement un manquement à l’obligation de loyauté
Plus récemment encore, dans un arrêt du 1er février 2023 (n°21-20.526), la Chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que l’exercice d’une activité sportive en compétition pendant un arrêt de travail ne constituait pas en lui-même, un manquement à l’obligation de loyauté.
En l’espèce, un salarié de la RATP a participé à 14 compétitions de badminton pendant ses cinq arrêts de travail prescrits entre octobre 2016 et novembre 2017. Son employeur, qui a eu connaissance de l’activité sportive de son salarié, a procédé à sa révocation pour faute grave.
La cour d’appel de Paris a cependant jugé la rupture du contrat de travail sans cause réelle et sérieuse, considérant que les faits reprochés au salarié ne caractérisaient pas un manquement à son obligation de loyauté.
La Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel et a jugé que :
« L’exercice d’une activité, pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie, ne constitue pas en lui-même un manquement à l’obligation de loyauté qui subsiste pendant la durée de cet arrêt. Dans un tel cas, pour fonder un licenciement, l’acte commis par un salarié durant la suspension du contrat de travail doit causer préjudice à l’employeur ou à l’entreprise.
Ce préjudice ne saurait résulter du seul maintien intégral du salaire, en conséquence de l’arrêt de travail, assumé par l’employeur qui assure lui-même le risque maladie de ses salariés.
La cour d’appel a constaté que, pendant les cinq arrêts de travail prescrits entre octobre 2016 et novembre 2017, le salarié a participé à 14 compétitions de badminton et a relevé qu’il n’est pas démontré que cette participation aurait aggravé l’état de santé du salarié ou prolongé ses arrêts de travail, de sorte qu’il n’était pas établi que cette activité aurait causé un préjudice à l’employeur. Elle en a exactement déduit que ces faits ne caractérisaient pas un manquement à l’obligation de loyauté qui subsiste pendant la durée de l’arrêt de travail et n’étaient pas constitutifs d’une faute grave. »
III/ Deux arrêts confirmant la jurisprudence constante, favorable aux salariés
Ces deux arrêts confirment la jurisprudence constante de la Cour de cassation.
L’exercice d’une activité pendant la suspension du contrat de travail ne constitue un manquement à l’obligation de loyauté, justifiant un licenciement, que s’il cause un préjudice à l’employeur.
Or, pour la Cour de cassation :
- le simple fait pour un salarié de travailler pour une autre entreprise non-concurrente durant un arrêt maladie ne cause pas nécessairement un préjudice à son employeur ;
Il en va différemment de l’exercice d’une activité pour le compte d’une entreprise concurrente : la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de juger que cette activité, même pour son propre compte, justifiait le licenciement (Cass. soc., 21 octobre 2003, n°01-43.943).
- le préjudice de l’employeur ne résulte pas non plus du seul paiement d’indemnités complémentaires aux indemnités journalières versées par la sécurité sociale, ni même du paiement intégral du salaire.
La Cour de cassation, dans son arrêt du 1er février 2023 (n°21-20.526) semble admettre, a contrario, que son préjudice aurait été établi si l’employeur avait pu prouver une aggravation de l’état de santé de son salarié en raison de son activité sportive, ou une prolongation de l’arrêt de travail.
Mais une telle preuve, notamment compte tenu du secret médical, est toutefois extrêmement difficile à rapporter en pratique.
Il semble ainsi délicat pour un employeur de caractériser son préjudice lié à la violation d’une obligation de loyauté pour sanctionner un salarié dont le contrat de travail est suspendu.
Une telle jurisprudence est critiquable dans la mesure où elle exige la démonstration d’un préjudice pour reprocher une faute du salarié (ce qui est juridiquement incorrect), mais également parce qu’elle a une conception du préjudice extrêmement restrictive.
Un tel motif de licenciement doit donc être appréhendé avec beaucoup de précautions.