Les décisions collectives d’une SAS prises en violation des statuts
Les décisions collectives d’une SAS prises en violation des statuts peuvent être annulées si cette violation est de nature à influer sur le résultat de la consultation.
La Cour de cassation a jugé pour la première fois que la violation des dispositions statutaires concernant les décisions collectives adoptées dans les sociétés par action simplifiées (SAS) peut être sanctionnée par la nullité à condition que cette méconnaissance soit de nature à influer sur le résultat du processus de décision 1. Elle complète ainsi, pour les SAS, le régime de droit commun des nullités des actes et délibérations des sociétés commerciales, peu adapté à ces sociétés qui relèvent, pour l’essentiel, du domaine contractuel.
I/ Principe de la liberté statutaire pour le fonctionnement des décisions collectives dans les SAS
La SAS se distingue par la large liberté statutaire offerte à ses associés en ce qui concerne l’établissement de ses règles de fonctionnement.
En matière de décisions collectives, le législateur se contente d’énumérer les décisions qui relèveront nécessairement de la compétence de la collectivité des associés (C. com. art. L 227-9, al. 2) 2 :
- augmentation ou réduction de capital
- dissolution, fusion ou scission ;
- approbation des comptes annuels et affectation du résultat ;
- nomination d’un commissaire aux comptes ;
- transformation de la société,
étant précisé que certaines décisions doivent impérativement être prises à l’unanimité des associés, notamment l’inaliénabilité des actions, l’augmentation des engagements des associés ou encore les clauses de changement de contrôle d’un associé.
Pour le reste, le Code de commerce laisse le soin aux associés de déterminer les décisions qui doivent être prises collectivement dans les formes et conditions qui auront été prévues dans les statuts (C. com. art. L 227-9, al. 1). Les associés peuvent donc librement décider que certaines décisions supplémentaires seront de la compétence de la collectivité des associés (par opposition aux décisions qui pourront être prises par le Président) mais également les modalités d’adoption de ces décisions, et notamment :
- délais, auteur et méthode(s) de convocation ;
- majorité(s) requise(s) ;
- assemblée générale, consultation écrite et/ou consentement de tous les associés exprimé dans un acte sous signature privée ;
- possibilité pour un associé de se faire représenter et mandataire(s) autorisé(s) ;
- nombre d’associés présents ou représentés nécessaire pour pouvoir délibérer.
2/ Causes restrictives de nullité des décisions collectives adoptées dans les SAS
Dans les sociétés commerciales, les décisions sociales modifiant les statuts ne peuvent être annulées que si une disposition légale le prévoit expressément : disposition énoncée au Livre II du Code de commerce (consacré aux sociétés commerciales) ou lois régissant la nullité des contrats en général 3.
La nullité des décisions ne modifiant pas les statuts ne peut, quant à elle, résulter que de la violation d’une disposition impérative prévue dans lesdits textes.
Le régime des SAS étant essentiellement contractuel, les nullités légales telles qu’indiquées précédemment sont limitées. En matière de décisions collectives, l’alinéa 4 de l’article L.227-9 du Code de commerce se contente de prévoir que « Les décisions prises en violation des dispositions du présent article peuvent être annulées à la demande de tout intéressé. ».
Au regard de ces textes, la nullité de la violation des statuts d’une société commerciale est, par ailleurs, limitée par la Cour de cassation aux cas où il est « fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d’aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci »4. Sur ce fondement, la jurisprudence avait jusqu’à présent pour habitude de refuser la nullité des décisions collectives de SAS, telle que prévue à l’alinéa 4 de l’article L.227-9 du Code de commerce, lorsqu’elles étaient adoptées en violation de l’alinéa 1 du même article, au motif que les dispositions violées ne se fondaient pas sur un tel usage.
Les hypothèses de nullité des décisions collectives de SAS étaient, par conséquent, fortement limitées, ce qui a conduit la Cour de cassation à considérer que la violation des statuts de la SAS ne pouvait être sanctionnée en la matière.
3 / Nullité des décisions collectives adoptées dans des conditions de nature à influer sur leur résultat
Par son récent arrêt, la Cour de cassation revient sur sa jurisprudence dans le but d’élargir les hypothèses dans lesquelles la nullité des décisions collectives de SAS peut être reconnue. Désormais, la violation du domaine de compétence ou des modalités d’adoption des décisions collectives tels que prévus par les statuts encourent la nullité, celle-ci pouvant être demandée par tout intéressé.
Elle justifie sa décision par la nécessité de compléter, pour les SAS, le régime de droit commun des nullités des actes et délibérations des sociétés commerciales, et de favoriser ainsi « l’organisation et le fonctionnement de la SAS [qui] relèvent essentiellement de la liberté statutaire », le respect des clauses contractuelles étant, en effet, « nécessaire au bon fonctionnement de la société et à la sécurité de ses actes ».
Il s’agit néanmoins d’une nullité facultative que la juridiction ne sera pas tenue de prononcer.
La Cour de cassation subordonne cette nullité à la condition que la décision collective prise en violation des statuts ait été adoptée dans des conditions « de nature à influer sur le résultat des délibérations ».
Ce critère, dont les contours restent à éclaircir par la jurisprudence, sera apprécié au cas par cas, au regard non seulement de la possibilité pour un associé de participer ou non aux délibérations, mais également des modalités selon lesquelles les délibérations auraient dû se dérouler et de l’influence de la violation sur le processus de décision.
L’annulation d’une décision collective étant susceptible de provoquer la nullité en cascade des actes qui en découlent, il conviendra de veiller particulièrement à la rédaction et aux conséquences d’une dérogation aux dispositions statutaires en la matière.
1 Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 15 mars 2023, 21-18.324, Publié au bulletin
2 Article L.227-9 du Code de commerce
3 Article L.235-1 du Code de commerce
4 Cass. com. 18-5-2010 n° 09-14.855